15 janvier 2016

Dire non. Etre entendu. Ou pas.

Je poste cet article dans le cadre du #mededfr.

Ce mois-ci, nous sommes invités à bloguer sur le thème
"dire non".

Je vais écrire mon article basé sur 2 récits vécus pendant mon enfance et adolescence.

Je suis insuffisante rénale chronique depuis ma naissance. On s'est rendu compte de mon IRC à l'âge de 8 ans. Depuis ce jour, la médecine a bien malgré moi, fait son apparition dans ma vie.

Je suis suivie par le Pr X, éminent néphrologue pédiatrique d'un CHU du sud de la France.

Je le vois régulièrement en consultation. Je n'aime pas y aller. Il m'ausculte, si tout va bien je reste dans le cabinet, et si quelque ne va pas, il me fait sortir et discute avec mes parents qui m'annonceront - souvent - la mauvaise nouvelle lors du retour dans la voiture.

Je suis régulièrement hospitalisée. J'ai entre 8 et 13 ans. Je suis dans une chambrée de 3 ou 4 enfants. La visite magistrale s'annonce.
Autour de mon lit d'hôpital, une quinzaine de soignants. Je me sens emprisonnée.
Le Pr X prend la parole et explique son cas à ses étudiants.
Je suis dépersonnalisée. Je suis  "elle".  Je n'ai plus de prénom. Je n'existe pas. Je ne suis pas dans la chambre.
Le Pr X parle de moi à la 3° personne. Il me prescrit des examens, des médicaments sans un regard. Les internes et externes regardent attentivement le professeur.
C'est au tour des autres enfants.

J'ai 13 ans. Je suis à nouveau hospitalisée.
La visite magistrale s'annonce.
Cette fois, je vais dire non au Pr X.
Je le regarde dans les yeux et lui dis que je ne souhaite pas de visite avec tout ce monde autour de moi, que je me sens mal avec tout ce monde. 
Il me regarde, je ne lâche pas son regard, c'est un défi mutuel.
Il me répond, très bien et change de lit.
Il finit ses visites avec ses étudiants. Il sors de la chambrée.
Il revient 10 minutes après, seul et fait sa visite à mon chevet.

A partir de ce jour là, le Pr X me demandera toujours si il peut faire sa visite avec quelques étudiants. Jamais plus de 3. Je répondrais toujours oui.
Les consultations prendront également une autre tournure. Il ne me fera plus sortir et m'annoncera lui même les choses concernant ma maladie.



J'ai 17 ans. J'ai été greffée d'un rein. Ca se passe mal.
L'équipe n'arrive pas à faire face à cet échec tant médicalement que psychologiquement.

Je suis momentanément transférée chez les adultes.
Le Pr Y me prescrit une Ponction Biopsie Rénale.

Je suis dans une petite salle sans fenêtre. J'ai peur.
C'est la première fois que j'ai une PBR sans anesthésie générale. Je vois le néphrologue préparer le pistolet pour la ponction.

Je suis chez les adultes, je suis une adulte, je suis courageuse.

On endort la zone de biopsie. On pique. J'ai mal. J'ai peur. J'ai mal. J'ai mal, j'ai peur. Je pleure.

Je commence à m'agiter. On repique. Plusieurs fois. Je leur demande d'arrêter.

Ils appellent des soignants en renfort. Je m'agite beaucoup.  je demande à ce qu'on arrête. Je me sens mal.
On repique. Les soignants me tiennent. Je me débat. Je veux partir de cette pièce.
J'entends les néphrologues dire  à plusieurs reprises "ça ne passe pas, ça a rebondi, le fragment n'est pas bon".
Ce sont  les derniers mots dont je me rappelle. Je tombe dans les pommes. Tout le monde s'affaire autour de moi.
Le lendemain, j'ai une PBR sous anesthésie générale. Le greffon était nécrosé.

Désormais adulte, je suis parfois amenée à dire non à des soignants.
J'ai toujours cette boule et je me demande si on va m'entendre. Ou pas.

Dire non. Etre entendu. Ou pas. 



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8 commentaires:

  1. Le savoir dire "non" vient souvent avec la maturité.
    Beau texte sur des moments bien difficiles
    :-)

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  2. "les soignants me tiennent": rien que ça me révolte!!!
    merde pour la suite Delphine!

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  3. bonjour Delphine vraiment c'est très touchant ce que tu raconte ,je suis une fille de 20 ans avec 1 ans et 4 mois de dialyse ,on a des points commun ,comme la naissance avec des reins qui ne marche pas bien et avoir un diplôme dans le cadre de la sante plus précisément laborantin , et je n'ai jamais greffé puisque je suis pas convaincu même que la dialyse est difficile mais c'est plus alaise que d'autre chose :)

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  4. Beaucoup de mal à lire ce texte.
    Beaucoup de flashs me reviennent ... Je n'ai pas connu de service pédiatrique, pourtant ma maladie est de naissance.
    "Les soignants me tiennent" j'ai aussi connu cela, pour une biopsie, et le premier jour en hémodialyse où l'on m'a piqué avec 2 aiguilles.
    Je me souviens du médecin qui disait "piquez-là ! Piquez-là" !

    C'est presque irréel, mais bien ancré dans mon esprit.

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  5. Que de bien difficiles souvenirs, la même boule dans la gorge que toi, jamais avalée, qui remonte et grossit à la lecture de ce texte. IRC comme toi, pas depuis la naissance mais consécutive à un diabète de type 1 particulièrement ingérable depuis l'enfance. Les services de pédiatrie avec visites magistrales de la "dream team" et son cortège d'étudiants en quête de spécimens rares, j'ai donné. Les soignants qui te tiennent et se mettent à 6 tels une unité d'intervention spéciale en pénitencier haute sécurité pour te plaquer contre la table de torture au moment de pratiquer la énième barbarie, j'ai donné aussi. Le plus traumatisant en la matière fut la première mise en route de la dialyse sur fistule après 3 mois de cathé jugulaire: piquage artère difficile, veine retour transpercée, on enlève tout et on recommence, je douille et je re-douille mais résiste un bon moment, puis finis par demander une trêve, non accordée. On retente un troisième piquage, la douleur se fait insupportable, je demande d'arrêter, on continue de plus belle, je me sens saisie par les épaules et les poignets: on me tient!! Pour éviter sans doute que je ne morde, qui sait, si en plus d'être DB et IRC j'avais la rage... Je sens l'hypo venir, je demande à ce qu'on me fasse un test: c'est pas le moment. Pour une hypo, on choisit rarement le moment. Je me sens partir, à cet instant on tente une mise en route, peu convaincus du piquage mais "ça doit être bon comme ça": douleur inimaginable suivie presque immédiatement d'une décharge dans tout le bras -> claquage de la fistule assorti en quelques minutes d'un énorme hématome allant de la main à l'épaule. Je perds connaissance, glycémie à 28.
    Un épisode parmi tant d'autres pour l'équipe en charge d'un "cas" parmi tant d'autres ce jour-là, un réel traumatisme pour moi. Une sorte de "baptême du feu" dans le monde de l'IRC si on veut, suivi malheureusement de séances de PBR étrangement similaires à la tienne.
    Continue ton blog, c'est bon de voir qu'on n'est pas seul...
    Une patiente tout aussi impatiente.

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  6. Bonjour Aurore,

    Il faut libérer la parole des patients. Ces maltraitances subies lors des soins sont souvent tabous car niées (ou fortement minimisées) par les institutions. On en parle peu car c'est de l'ordre de l'intimité du soin et c'est toujours difficile pour un adulte de parler de l'infantilisation médicale.

    Bonne journée à toi patiente impatiente ;-)

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    1. C'est vrai Delphine, il faut que les patients s'expriment sur ce qu'ils vivent, c'est à mon avis la seule façon d'exorciser les moments douloureux ou ressentis comme particulièrement traumatisants, et de faire tomber un tabou trop longtemps ignoré.
      Qu'ils s'expriment sur tout, le bon comme le moins bon d'ailleurs, car dans ce que l'on vit il n'y a pas que du mauvais: certains soignants sont admirables, il faut aussi le dire et leur faire honneur. Sans pour autant tomber dans le positivisme à toute épreuve.
      L'infantilisation médicale a cela de révoltant qu'elle va à l'encontre de ce qui selon moi constitue l'une des bases sinon LA base fondamentale de l'acceptation par le malade de sa condition: l'implication du patient, le fait de le rendre acteur de son traitement. Combien de vérités tues, de choix thérapeutiques imposés, de pratiques subies dans l'ignorance totale de leur bien-fondé... Sans parler de la douleur ignorée, ou minimisée.
      Le chemin est encore long et ce n'est que par la parole que l'on peut avancer concrètement.

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