19 janvier 2016

Greffe #1: Une page se tourne, une nouvelle s'écrit.

Cet article fait suite à Greffe #1: Ca y est, je suis greffée !

Je suis de retour dans ma chambre d'hospitalisation.
Nous sommes fin octobre 1995. 

Je reviens de ma Ponction Biopsie Rénale sous AG.

Je suis un peu sonnée. Encore un peu sous le coup de l'anesthésie. 

Mes parents sont là. Nous sommes tous inquiets mais nous n'osons pas en parler ensemble.

Nous attendons impatiemment le médecin pour les premiers résultats.

Enfin, le Dr M. entre dans ma chambre.


Il est gêné. On sent bien qu'il n'a pas l'habitude d'annoncer ce genre de nouvelles.

C'est un rejet aigu de grade 3   (selon la classification de Banff), autrement dit un rejet aigu sévère. 

Je dois subir une grosse cure de cortisone pendant plusieurs jours. 

Je la supporte tant bien que mal, surtout au niveau psychologique. Cette phase d'attente du mieux est très dure à vivre pour tous le monde. 

Tous les jours j'attend les résultats de la prise de sang avec une angoisse très perceptible. 

Beaucoup d'espoir, peu de résultats positifs. La créatinine stagne. Elle ne monte pas. C'est toujours ça de pris. 

En attendant la baisse, je reste hospitalisée. 

Je reste 2 mois en hospitalisation. On me refais une biopsie pour voir si je suis toujours en rejet. Ce n'est pas le cas mais pas d'amélioration notable. 

Le Dr X. propose plusieurs autorisations de sorties. Je reviens chez moi quasiment tous les Week-end.

Le Dr M. finira par proposer une sortie définitive même si les résultats ne sont pas ceux escomptés. 

Je vais en consultation 2 fois par semaine dans le centre de dialyse pédiatrique. Toujours suspendue aux résultats de la créatinine. J'ai encore beaucoup d'espoir. 
J'en garderais un profond traumatisme. Lors de la seconde greffe, l'attente des prises de sang sera toujours insupportable et très difficile à vivre. 
L'euphorie n'est plus du tout au rendez-vous. 
On sent bien que cette greffe mitigée a beaucoup affecté l'équipe qui n'a pas l'habitude de connaitre des échecs chez "ses" enfants. 

Lors d'une consultation, le Dr D. constate un net oeudème au niveau du greffon.

Je dois passer en urgence un scanner et un IRM. Le diagnostic tombe très vite. J'ai un lymphocèle, je suis subir une intervention, une marsupialisation, qui consiste à créer une dérivation de la lymphe pour ne plus qu'elle comprime le greffon. 

L'opération est un succès. Mais ça ne changera pas le pronostic de la greffe qui commence à peser sur tout le monde, y compris moi. 

Je suis abattue. Je sors peu de la chambre. J'ai du mal à marcher. Je suis un peu courbée. 

En fait, j'ai mal, mais je ne le dirais à personne pendant longtemps. J'ai trop peur qu'on m'enlève ce greffon qui m'évite encore la dialyse. 

La dialyse ne sera pas évitée très longtemps. J'ai des oeudèmes aux jambes, le potassium élevé. 

L'équipe est débordée. Elle n'a pas l'habitude de gérer des greffes aussi compliquées. 
Je suis momentanément transférée chez les adultes. J'y subirais une Ponction Biopsie Rénale que je relate ici: Dire non. Etre entendu. Ou pas. 

Je fais 1 dialyse par semaine et j'ai un régime drastique pour le potassium.
On est en train de revenir à la case départ. Je ne veux pas y croire. Personne ne veut y croire. 

Je suis re-transférée dans le service d'hématologie pédiatrique car je suis de plus en plus mal. 
Le Dr M. et le Dr X. viennent dans la chambre avec un air très grave.
Mes parents sont là. Le Dr X. prend la parole et préconise de débuter un traitement par orthoclone (OKT3). A l'époque, il y a moins d'alternatives thérapeutiques que maintenant.
Je sens bien que c'est un peu le traitement de la dernière chance même si personne ne le dis. 
Pour cela, je dois être sèche et dois subir plusieurs dialyses d'affilée. 

J'ai de plus en plus mal à l'endroit du greffon. Je ne marche plus. Tous les déplacements sont en fauteuil ou en brancard. 

Un jour lorsque je sors de la dialyse, le lit balance est en panne et je dois me lever.
Je n'y arrive pas. L'aide soignante  me voit souffrir.
Elle va avertir le Dr D. en lui disant que je souffre beaucoup. 

Je passe une IRM en urgence. 

Peu après, le Dr X. vient dans ma chambre stérile . Le visage du Dr X. est décomposé. 
Il me dis que le greffon est nécrosé, que ni le service adulte, ni le service pédiatrique ne peuvent s'occuper de moi pour la suite.
Soit on enlève le greffon, soit on me transfère à l'hôpital Necker à Paris.

Je demande à ce qu'on arrête tout cela. Que je n'en peux plus. Je pleure. Beaucoup. 
Je demande au Dr X. ou est la nouvelle vie que l'on m'avait promise quelques mois plus tôt.
Il ne dira plus un mot.
Je ne le reverrai jamais. 

Il est tard, très tard. Peut-être 1h du matin. 
Le chirurgien vient me voir et me demande si je veux qu'il m'enlève le greffon maintenant avec l'équipe de garde ou si je lui laisse jusqu'à demain matin avec son équipe habituelle.
Il l'a dis avec une grande bienveillance et beaucoup de douceur. 
Si je lui avais dis on le fait maintenant, il l'aurait fait sans m'en vouloir une seule seconde et sans juger ce choix.

Nous sommes le 2 février 1996. Je suis opérée tôt le lendemain matin.
Le chirurgien a les traits tirés. Il n'a pas dû beaucoup dormir. Lui aussi est affecté. C'est lui qui m'avait greffé.

Le greffon était vraiment dans un sale état. Très gros, enflammé et de la forme d'une aubergine.

Je pense sincèrement que si on ne me l'avait pas enlevé, je ne serais plus là. 

Je sors rapidement d'hospitalisation. Tout le monde a hâte de tirer un trait sur cette histoire et reprendre le cours de la vie. 

Je reprend les dialyses et je retourne au lycée. 
Je reste encore quelques semaines dans le service de dialyse pédiatrique. 
J'en veux beaucoup à l'équipe même si elle n'y peut pas grand chose. 

Le Dr D. me reçois dans son bureau et me dis qu'il est temps que j'aille chez les adultes. 
Que tout le monde dois oublier ce qu'il s'est passé, que ça a été très difficile pour tous et qu'il faut tirer un trait sur cette histoire. Elle me le dira les larmes aux yeux.
On en parlera plus, ni avec mes parents, ni avec l'équipe pédiatrique, ni avec le nouveau centre de dialyse pour adultes.

Une page se tourne, une nouvelle s'écrit. 


Je précise que ce que j'ai vécu reste rare. Dans l'immense majorité des cas, les greffes se passent bien!




3 commentaires:

  1. la question que je me pose: est-ce que pendant tous ces événements tu as eu un accompagnement psychologique? si non, est-ce que tu penses que ta famille et toi vous en auriez eu besoin?

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    1. Je me pose la même question que vous, Kat aidante.
      Et pour cause, à quelques jours près, j'ai également reçu ma deuxième greffe, toujours en fonction.
      J'ai la vie dont on avait parlé à Galatée...
      Mais avant, le rejet de ma greffe de 1987, la transplantectomie 9 mois plus tard, la douleur,mon silence, l'infection, la température, le coma... Mais il fallait oublier... et plus personne n'en a parlé.

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    2. voilà! plus personne n'en a parlé. ce dont on ne parle pas n'existe pas, n'a pas existé.... on a encore du chemin à faire dans l'accompagnement...

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